L'éclairage public a un côté obscur méconnu : il modifie non seulement le comportement individuel des insectes mais affecte aussi profondément la composition de leurs populations, de jour comme de nuit, révèle une étude qui s'inquiète de l'impact potentiel sur les écosystèmes.
Selon des estimations récentes, l'éclairage public progresse en moyenne de 6% chaque année dans le monde, notamment en raison de l'urbanisation galopante. Et pourtant, les chercheurs n'ont qu'une connaissance limitée des conséquences de cette lumière artificielle sur l'environnement, révèle l'étude, publiée mercredi dans la revue Biology Letters de l'Académie des sciences britannique.
Les biologistes savent qu'elle a des effets notables sur différentes formes de vie (végétaux, insectes, mammifères nocturnes, etc.), leur organisme et leur comportement individuel. Mais aucune étude ne s'était jusqu'alors intéressée aux changements qu'elle provoque à plus grande échelle sur l'organisation des espèces et la composition de leurs communautés.
Pendant trois jours et trois nuits d'août 2011, période où les invertébrés abondent, Thomas Davies et son équipe de l'Université britannique d'Exeter ont donc posé des pièges à insectes dans la petite ville de Helston, à la pointe de la péninsule des Cornouailles, directement sous des réverbères espacés de 35 mètres et entre chacun d'entre eux.
Ils ont récolté au total 1.194 invertébrés terrestres, représentant pas moins de 60 espèces différentes. Qu'il s'agisse d'échantillons pris la nuit ou le jour, "les invertébrés étaient plus abondants à proximité des sources d'éclairage", notent-ils.
La composition des communautés d'invertébrés sous les lampadaires était également "significativement différente" de celles situées à l'écart.
Trop de pollution lumineuse
Selon les chercheurs, ce résultat signifie que l'éclairage public a un impact durable sur la composition de ces communautés d'insectes, "bien supérieur au simple fait d'attirer par une lumière vive pendant la nuit certaines espèces qui se disperseraient de nouveau pendant la journée."
Cinq types d'invertébrés étaient beaucoup plus nombreux dans les zones éclairées par les réverbères: les faucheux (Opiliones, arachnides cousins des araignées), les fourmis, les carabes, les cloportes et les amphipodes.
Et cette sur-représentation était notable de jour comme de nuit pour trois d'entre eux (faucheux, fourmis et carabes).
Plus généralement, par comparaison aux zones situées à l'écart de l'éclairage public, celles situées sous les lampadaires contenaient bien plus d'invididus appartenant à deux groupes de carnivores: les prédateurs et les charognards.
Ce déséquilibre au sein des espèces d'invertébrés pourrait faire boule de neige et, par le biais de la chaîne alimentaire par exemple, risquerait d'altérer l'ensemble d'un écosystème, s'inquiètent les auteurs, qui appellent à faire d'autres recherches sur la question.
Etant donné la progression rapide de la pollution lumineuse dans le monde, ces bouleversements "pourraient être en train d'avoir un impact sur la composition des communautés d'organismes sur une grande échelle", notent-ils.
L'introduction prochaine de nouvelles technologies d'éclairage, fondées non plus sur le sodium mais sur des halogènes ou des LED, pourrait encore augmenter les effets néfastes de l'éclairage public sur l'environnement "car elles émettent sur une plus grande gamme de longueurs d'ondes auxquelles ces organismes sont sensibles", concluent les biologistes britanniques.
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